Les gros pollueurs prennent position

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Par Maria Lazarte
Mots clés : EnvironnementÉnergie
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La lutte contre le changement climatique trouve des alliés inattendus parmi les industries les plus polluantes. Pourquoi ont-elles décidé de prendre position et comment contribuent-elles à rendre l’atmosphère plus propre ?

Nos sociétés en ont besoin : aluminium, fer et acier, ciment et autres industries à forte intensité énergétique sont des composantes essentielles de l’infrastructure de nos villes et de nos mégapoles. Mais la fabrication de ces produits demande beaucoup d’énergie, car pour chauffer et transformer les matières premières, de hautes températures sont nécessaires. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui résultent de ce processus représentent une part importante des émissions de sources fixes dans le monde.

Certains des acteurs clés du secteur ne veulent plus être considérés comme de gros pollueurs. « Il y a une prise de conscience de l’importance du changement climatique. C’est en train de se produire ; nous devons agir maintenant ; demain, il sera trop tard », déclare Volker Hoenig, Directeur général de l’association allemande du ciment VDZ, qui dirige un institut de recherche sur le ciment en Allemagne et s’adresse à l’ensemble des acteurs de cette industrie dans le monde. « L’avantage est que ces émissions proviennent de sources fixes, autrement dit elles sont concentrées en un seul endroit. Le processus est donc fixe et prévisible, ce qui facilite son suivi et son contrôle. »

L’élaboration d’une nouvelle série de normes ISO spécifiques à un secteur industriel pour mesurer les émissions de GES pourrait faire bouger les choses. M. Hoenig nous parle de ce projet : « Il était temps que l’industrie prenne ses responsabilités. L’initiative est venue des fabricants eux-mêmes. Rapidement, les différents concurrents ont décidé de rechercher un consensus et de prendre des décisions qui auraient une incidence sur leur avenir. Ainsi, des représentants des industries sidérurgique, du ciment, de l’aluminium, de la chaux et des ferro-alliages ont travaillé ensemble dans un même élan. »

Des solutions concrètes

La fabrication du ciment est l’un des processus les plus gourmands en énergie dans le monde. Ce produit reste pourtant irremplaçable pour relier entre elles des structures de béton. « C’est pourquoi VDZ a été un moteur essentiel du projet de normalisation de la surveillance et de la déclaration des émissions de GES », affirme M. Hoenig.

VDZ a déjà participé à des activités de normalisation, essentiellement en lien avec la qualité des produits. Mais il y a 15 ans environ, l’association a commencé à s’intéresser à la surveillance et à la déclaration des émissions de GES, à la suite de l’introduction du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne et du Protocole « dioxyde de carbone et énergie » élaboré par l’Initiative ciment pour le développement durable (CSI) lancée par le WBCSD1). Ce protocole est aujourd’hui utilisé par près d’un millier de cimenteries à travers le monde.

« La normalisation de la surveillance et de la déclaration des émissions de GES pour les industries à forte intensité énergétique a d’abord pris la forme d’une initiative européenne, à laquelle VDZ a été associée dès le début », poursuit M. Hoenig. Après ces premiers travaux, le secteur s’est tourné vers l’ISO afin d’élargir la portée de cette action. « Le changement climatique est un problème mondial qui appelle des solutions à l’échelle de la planète. Il était parfaitement logique de s’adresser à l’ISO », ajoute-t-il. « Les Normes internationales permettent de fixer des conditions équitables pour tous, partout dans le monde. C’est important pour l’économie et pour la durabilité. »

Ce qui est remarquable dans ce projet, c’est la volonté affichée par les leaders du secteur de faire partie de la solution. « Vous acceptez une réalité », explique M. Hoenig, « Vous êtes un gros pollueur, mais vous pouvez faire bouger les choses. »

Les travaux sont en cours et le résultat sera publié sous la forme d’une série de normes spécifiques à un secteur industriel, sous la dénomination « ISO 19694 ». Cette série de normes sera constituée d’un document générique et de plusieurs parties spécifiques aux différents secteurs. « À ce jour, nous avons consacré des parties aux industries sidérurgique, du ciment, de l’aluminium, de la chaux et des ferro-alliages, et deux autres parties sont prévues sur les semi-conducteurs et les écrans », explique M. Hoenig. « Ces normes ISO fourniront des méthodologies précises et récentes, qui refléteront les meilleures pratiques actuelles. Et comme elles ont une portée internationale, les entreprises du monde entier en bénéficieront. Le processus ISO garantit en outre que les normes seront régulièrement révisées et actualisées, afin que nous disposions toujours des informations les plus récentes. »

Une tonne pour une tonne

Une norme pour la surveillance et la déclaration n’est certes pas révolutionnaire, mais sans elle, nous ne disposerions pas de données exactes et comparables sur les émissions produites par certains des plus gros pollueurs de la planète. « Aujourd’hui encore, chaque industrie mesure ses émissions en appliquant des méthodologies différentes. Il est donc difficile de savoir précisément comment une entreprise se comporte par rapport aux autres », explique Marcel Koeleman, Président du sous-comité ISO/TC 146/SC 1, qui est chargé d’élaborer des normes sur la qualité de l’air en lien avec les émissions de sources fixes.

Cela pose problème pour diverses raisons. Premièrement, les industriels peuvent avoir une vision biaisée de leur propre impact. « Il se peut que vous vous comportiez mieux ou moins bien que vous ne le pensiez, mais vous ne pouvez en être sûr que si tout le monde utilise la même méthode que vous », explique M. Koeleman. « Ce n’est pas une tâche aisée. Certaines entreprises réaliseront qu’elles ne sont pas aussi efficaces qu’elles le pensaient, mais c’est une étape nécessaire si nous voulons que les choses changent. »

Deuxièmement, si les méthodes de mesure ne sont pas harmonisées, il est difficile pour les organismes de surveillance comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) d’avoir une idée précise de l’incidence réelle de ces industries. Il est donc plus difficile de se coordonner pour proposer une réponse adéquate. Les pays et les entreprises pourraient utiliser une méthodologie normalisée, les premiers pour déclarer leurs émissions industrielles et les secondes pour effectuer une évaluation comparative interne (ou externe), ce qui aiderait les organismes comme le GIEC à mettre en œuvre et à améliorer leurs activités de surveillance. Et troisièmement, il sera très difficile, sans des méthodes de mesure comparables, d’identifier les meilleures pratiques, ce qui est essentiel si l’on veut prendre des mesures pleinement pertinentes en matière de changement climatique.

« Les normes à venir sont donc une composante essentielle d’une réponse plus large », affirme M. Koeleman. « Pour la première fois, les émissions des industries à forte intensité énergétique seront comparables, pas seulement de pays à pays, mais aussi d’un secteur à l’autre. Il sera possible d’évaluer les usines du monde entier au moyen d’une méthodologie commune. Une tonne de CO2 émise par une installation industrielle de l’un quelconque de ces secteurs sera égale à une tonne de CO2 où que ce soit dans le monde. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, en raison des différences qui existent dans les méthodes de déclaration. »

Ces normes constituent donc une première étape cruciale vers une industrie plus contrôlée et plus propre. Par exemple, des pays, voire des entreprises, pourraient se mettre d’accord sur des projets destinés à réduire les émissions de GES grâce à cette nouvelle méthodologie harmonisée de suivi des résultats. En outre, ces normes faciliteront l’élaboration de politiques de management environnemental plus précises. Par conséquent, par ses effets, ISO 19694 est bien plus qu’un document technique : elle permet une contribution plus large de la société à la lutte contre le changement climatique.

« Il n’est pas toujours acquis que le secteur industriel relève le défi de bon gré. Et c’est ce qui m’a le plus impressionné dans mon rôle de Président du comité. Nous savions tous qu’il y avait des conséquences économiques et qu’il fallait prendre en compte différents intérêts, mais lorsque j’ai demandé aux représentants autour de la table s’ils étaient toujours favorables à l’élaboration de ces normes, tous ont répondu affirmativement. »

Reste une dernière question. L’ISO dispose déjà d’un ensemble de normes environnementales, parmi lesquelles des normes pour la quantification et la surveillance des émissions de GES. Pourquoi donc ces nouvelles normes sont-elles nécessaires ? Pour M. Koeleman, le bénéfice est évident. La contribution des industries à forte intensité d’énergie aux émissions de GES est importante. Les recommandations ciblées qui prennent en compte les spécificités des différents processus industriels sont plus adaptées et plus précises, ce qui a pour effet de renforcer considérablement leur adoption et leur utilisation. « Le fait d’élaborer ces normes au sein de l’ISO permet non seulement de bénéficier de l’expérience de l’Organisation en matière de normalisation et de sa portée internationale, mais aussi de s’aligner sur les meilleures pratiques développées par le comité ISO/TC 207 dans le domaine du management environnemental. Il s’agit finalement d’un apprentissage mutuel. »

L’élaboration de la série ISO 19694 est bien avancée. Outre les représentants de l’industrie, le comité associe également à ses travaux sur ces normes des spécialistes de l’environnement, des scientifiques et des chercheurs. « Mais d’autres experts sont les bienvenus », déclare M. Koeleman avec enthousiasme. « Si vous travaillez dans une industrie à forte intensité énergétique et si vous souhaitez que votre organisation ait son mot à dire et joue un rôle de premier plan dans l’élaboration de ces règles, alors rejoignez-nous ! Contactez tout simplement le membre de l’ISO dans votre pays et demandez à participer aux travaux de notre comité. La représentation sera plus large et nos travaux s’en trouveront renforcés. » M. Koeleman encourage tout particulièrement les membres des économies émergentes. « L’un des avantages de l’ISO est que le consensus ne se limite pas à la salle de réunion ; l’objectif est de dégager un consensus à l’échelle mondiale. »


1) Le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD) est une organisation mondiale pilotée par les PDG de plus de 200 entreprises de premier plan qui travaillent ensemble pour accélérer la transition vers un monde durable.

Maria Lazarte
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Elizabeth Gasiorowski-Denis
Rédactrice en chef d'ISOfocus